LES GRANDS PEINTRES DU LÉMAN

Gustave Courbet, l’exil en Suisse d’un révolutionnaire

Outre l’impressionniste du lac Ferdinand Hodler (cf. Prestige Immobilier n°66), un autre géant de la peinture a posé son chevalet sur les bords du Léman. Il s’agit du peintre français Gustave Courbet (1819-1877), chef de file reconnu de la peinture réaliste qui s’est imposée au milieu du XIXe siècle.

C’est la participation de Gustave Courbet à la Commune de Paris, mouvement insurrectionnel qui s’est terminé dans un bain de sang, qui a poussé, en 1873, l’artiste à s’exiler en Suisse, et plus précisément à la Tour-de-Peilz.

C’est finalement grâce à cet exil que Gustave Courbet a immortalisé de sa palette réaliste le Léman, mettant notamment en évidence le Château de Chillon, entre 1873 et 1875.

La peinture réaliste de Gustave Courbet, à l’instar de celle de Jean-François Millet, s’est imposée entre le romantisme de la première moitié du XIXe siècle et l’impressionnisme de la seconde moitié de ce même siècle.

Il s’agit d’un époque charnière entre deux mouvements que tout oppose.

D’Ornans à Paris: le parcours d’un peintre ambitieux

Gustave Courbet est né le 10 juin 1819 à Ornans, près de Besançon dans le Doubs (France), au sein d’une famille aisée de propriétaires terriens. Très tôt, Gustave Courbet manifeste plus d’intérêt pour l’art que pour les études classiques auxquelles le destinaient ses parents.

«Monté» en 1839 à Paris pour y poursuivre des études de droit, Gustave Courbet délaisse très vite celles-ci au profit de la peinture.

Ambitieux, le jeune homme cherche à tout prix à pouvoir accéder à la notoriété.

Or, dans la France de l’époque, la reconnaissance pour les peintres passe obligatoirement par les fourches caudines des Salons, dont les jurys sont les gardiens du bon – ou mauvais – goût officiel.

Qu’à cela ne tienne; Gustave Courbet y présente ses premiers tableaux.

Mais le succès attendu n’est, de loin, pas au rendez-vous. L’échec est si criant que plusieurs de ses tableaux sont même refusés d’entrée de cause.

Et lorsque certaines de ses œuvres sont finalement acceptés, ce n’est que du bout des lèvres. Or Gustave Courbet n’est pas monté à Paris pour faire de la figuration. Pour pouvoir être remarqué, il comprend qu’il doit frapper les esprits par de grands coups (comme de nos jours!).

Qu’importe le scandale, pourvu qu’il assure la notoriété

Et cela passe, selon lui, par la mise en œuvre de tableaux de format monumental.

Pour ce faire, Gustave Courbet retourne se mettre au vert dans son Jura natal.

Et là, il peint plusieurs grands tableaux dont «Un enterrement à Ornans», aux dimensions imposantes (375 x 668 cm), qui comprend pas moins de cinquante personnages typiquement du crû dominés, voire écrasés, par un Christ en croix se détachant du ciel.

Le scandale, que Gustave Courbet appelait de ses vœux les plus chers, et la notoriété qui va avec, arrivent enfin pour le plus grand bonheur du peintre.

En effet, selon l’esprit ultra-formaté des critiques de l’époque, dont la remise en question n’est de loin pas la première qualité, les peintures de grand format devaient être l’apanage exclusif des scènes historiques, mythologiques ou religieuses. Et non pas, comme pour les tableaux de Gustave Courbet, de simples scènes de la vie quotidienne.

Autre reproche formulé par les bien-pensants de l’esthétisme de l’époque; les personnages de Gustave Courbet ne sont même pas idéalisés, mais peints dans toute leur laideur… naturelle.

En bref, les censeurs institutionnels de l’époque reprochent à Gustave Courbet de peindre la réalité dans sa vérité même la plus crue.

La peinture réaliste est lancée:
Gustave Courbet en est le chef de file

Réalisme: voilà le mot lâché!

Et cette première qualification de la peinture de Gustave Courbet va coller à ce dernier sa vie durant.

Et même, faire de Courbet le véritable chef de file de ce mouvement, qui marquera les maîtres du XIXe siècle.

Cela étant, le style réaliste de l’artiste n’est pas une abjuration, mais bien une véritable profession de foi.

En effet, selon lui, il ne faut pas peindre l’homme tel qu’il devrait être, en l’idéalisant à outrance à l’instar des peintres classiques, mais seulement tel qu’il est dans toute sa grandeur émotive, mais aussi dans sa décrépitude apparente.

En bref, Gustave Courbet veut peindre ce qu’il voit et cela sans artifice et sans transfiguration de la réalité. Ce qui se ressent également dans sa façon de peindre, laquelle ne s’embarrasse pas de finitions par trop académiques.

Et voilà un magnifique coup de pinceau porté à l’encontre de la traditionnelle peinture académique et même romantique.

Passé chef de file du réalisme, Gustave Courbet est enfin entré de plain-pied dans l’histoire de la peinture. Encore faut-il y rester.

Des chefs-d’œuvres réalistes et
provocateurs

Sur sa lancée, Gustave Courbet peindra d’autres toiles d’un réalisme provocant par rapport aux canons esthétiques qui prédominent encore au milieu du XIXe siècle.

C’est d’abord ces baigneuses, peintes en 1853, que Gustave Courbet représente sans aucun ménagement pour leur embonpoint. Au contraire, le corps nu libidineux de l’une des deux baigneuses est largement mis en lumière par un contraste sans transition avec l’ombre des sous-bois.

A l’évidence, ces baigneuses sont très loin des canons habituellement réservés aux nus de la peinture académique et romantique.

Autre coup de maître de Gustave Courbet: son tableau «L’atelier du peintre» également peint, en 1855, dans des dimensions monumentales (361 x 598 cm). Dans ce tableau, Gustave Courbet se met en valeur en train de peindre un paysage apaisant au milieu d’une trentaine de personnages illustres ou anonymes. Avec toutefois à ses côtés une femme nue qui n’a d’autre vocation que celle d’attirer l’œil du spectateur et surtout de déclencher les cris d’orfraie des critiques.

Le message de ce tableau reste toutefois énigmatique. Mais Gustave Courbet l’a certainement voulu tel. Histoire d’ouvrir une nouvelle polémique sans avoir à la refermer. Le but est atteint au-delà de tout espoir! 

Patrick Blaser

patrick.blaser@borel-barbey.ch