La rumeur de la ville

MIKE HORN
Il aime les grands espaces et se méfie des villes

Explorateur, aventurier, premier homme à avoir traversé l’Antarctique en solitaire, Mike Horn, Sud-Africain d’origine établi à Château d’Oex/VD depuis des décennies, n’en finit pas, à 54 ans, de parcourir le monde et d’enchaîner les expéditions les plus folles et les plus risquées. Au mois d’août dernier, il a failli se noyer dans les eaux glaciales de l’Arctique, avec son compagnon Fred Roux, quand l’iceberg qu’ils escaladaient s’est soudain renversé sur eux. Une plongée dans une eau glaciale; la faute, selon eux, au réchauffement de la planète…
Amoureux des vastes espaces (surtout quand ils sont inhospitaliers et terrifiants), Mike Horn est très sensible au sort de la planète et très critique sur l’influence des hommes. La crise du virus l’a aussi fait réfléchir, comme il le confiait en octobre dernier au «Figaro». «Depuis quelques mois, on voyage moins, on n’achète que ce qui est nécessaire. Et on continue à vivre de manière confortable. Consommer était devenu une habitude. Nous sommes à un moment charnière où nous devons nous interroger sur la manière dont on peut vivre, laquelle doit se situer entre nos anciennes habitudes et celles que le confinement nous a imposées. Ce n’est finalement pas compliqué de voyager un peu plus localement, de consommer localement. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne doit plus aller douze mois par an, en voiture, acheter des oranges emballées dans du plastique! Ce sont des habitudes à changer, qui ont un impact énorme».
Et puis Mike Horn n’aime guère les villes, ces concentrations gigantesques de centaines de milliers ou même de millions d’êtres humains qui n’en finissent pas de se heurter, de s’affronter, de se côtoyer malgré eux. Trop de proximité obligée, trop d’interactions, trop d’exaspérations, pas assez de distance et de respiration… «Quand l’homme n’est plus en harmonie avec la nature, reprend l’aventurier, il devient stressé. Et ça, on le voit à Paris ou dans les grandes capitales. La chasse à l’argent détériore les comportements des gens. Il faut vraiment être conscient que ce ne sont pas nos terres qui changent, c’est l’homme. Il devrait se souvenir qu’il a besoin de la planète. Comment fera-t-on quand elle ne nous donnera plus de ressources?».

MICHEL BUTOR
Il a son musée à Lucinges

Il fut l’une des grandes figures du «nouveau roman», ce mouvement qui prétendit déconstruire et réinventer le roman dans les années 50, en France. Auteur d’un livre culte, «La modification», et professeur de littérature à l’Université de Genève, Michel Butor, décédé en 2016, avait déjà sa statue, depuis trente ans, au rond-point de Plainpalais, d’où il semble regarder d’un air placide et amusé la cohue incessante des gens qui montent ou qui descendent de taxi. Depuis le mois d’octobre, il a aussi son musée, à savoir la maison qu’il avait acquise en 1989 et où il habitait à Lucinges, en France voisine, tout près de Genève. Ancienne école tenue par des religieuses, sa maison, imposante, est située légèrement en retrait de la place du village, en bordure de forêt. Michel Butor l’avait baptisée «A L’écart». Transformée en musée (et en résidence pour artistes), elle maintient la mémoire de l’écrivain. Le public peut visiter l’espace muséographique, au rez-de-chaussée, et le bureau de l’auteur, demeuré tel qu’il était de son vivant.

 

Renseignements: L’Archipel Butor,
butor@annemasse-agglo.fr

Le City Brain mis au point par Alibaba à Hangzhou.

GASPARD KOENIG
Il imagine la ville à l’heure de l’intelligence artificielle

Auteur d’une douzaine de romans et d’essais, professeur de philosophie à Sciences Po Paris, Gaspard Koenig est un esprit curieux qui parcourt inlassablement le monde pour tenter de percevoir ou plutôt de deviner l’avenir. Dans un livre qui vient de paraître, «La fin de l’individu» (Edition de l’Observatoire-Le Point), il rend compte d’un long reportage au pays de l’intelligence artificielle (IA), de l’inévitable Silicon Valley où tout a commencé jusqu’en Chine, en passant bien sûr par l’Amérique du Sud et l’Afrique avant de revenir au bercail, à Paris. Ce qui l’a le plus frappé? L’avenir de la ville. Le nouveau visage urbain qui se dessine inéluctablement, en raison du développement fulgurant de l’intelligence artificielle. La ville sera-t-elle toujours un lieu de liberté pour les individus, comme elle l’aura été pendant des siècles, ou deviendra-t-elle un lieu de normalisation et de contrôle?
«Je rêvais de visiter le City Brain mis au point par Alibaba à Hangzhou, modeste bourgade de 6 millions d’habitants au sud-est de Shanghai, explique Gaspard Koenig. Ce «cerveau de la ville» est une IA censée optimiser la gestion urbaine. Chacune des grandes plates-formes chinoises se charge en effet, en bonne entente avec le Gouvernement, de poursuivre des objectifs d’intérêt public qui mobilisent leur savoir-faire technologique». Chargée de penser la ville du futur, Alibaba s’est concentrée, pour l’instant, sur les problèmes de mobilité. Traité pendant des mois avec défiance, un peu comme un espion, Gaspard Koenig a fini par rencontrer un employé qui lui a expliqué l’essentiel.
«Les algorithmes développés par City Brain ont pour principale fonction de fluidifier le trafic, explique-t-il. Les données du trafic viennent de plusieurs sources: géolocalisation des voitures, capteurs sur les routes, mais aussi caméras de vidéosurveillance, dont les autorités confient les images à Alibaba. Le City Brain peut ainsi formuler des recommandations automatiques qui se déclinent immédiatement sur le terrain: ajustement des feux en temps réel, fermeture ou ouverture de voies si nécessaire, envoi d’agents de circulation, messages d’information sur la route, et surtout notifications envoyées directement aux conducteurs, en coordination avec les principales applications de navigation». Résultat, selon l’auteur: «Les embouteillages ont diminué de 11% depuis son déploiement».
Vive l’intelligence artificielle, dira-t-on, surtout si l’on est bloqué dans un des bouchons savamment organisés par des autorités en délire, sous prétexte de Covid-19! Mais ce que fait City Brain pour la mobilité, il voudrait aussi le faire pour… tout le reste, c’est-à-dire pour toute la vie urbaine, toute la vie sociale, toute la vie économique et politique. «A l’avenir, la technologie de City Brain pourra s’appliquer à la planification urbaine, à la gestion de l’eau ou au réseau électrique». Elle pourra s’appliquer, en fait, dans toute l’organisation de la ville, dans toutes les interactions entre les habitants, dans le contrôle de tous les espaces publics, les restaurants, les cafés, la rue, les associations, les clubs de sport, les fitness… Un rêve du pouvoir communiste. Et de quelques autres.

 

François Valle