Le siècle vert est entré à la maison!

Nature ou culture? Culture ou nature? Esprit libre et original, ex-compagnon du Che dans les maquis de Bolivie avant de devenir conseiller de François Mitterrand puis de s’en éloigner, le philosophe français Régis Debray répond à cette éternelle question dans un petit pamphlet au titre qui dit tout: «Le siècle vert» (Editions Gallimard). Il explique que le monde, après avoir cru farouchement à la primauté de la culture, a basculé peu à peu, depuis une bonne vingtaine d’années, dans le retour à la nature.

Le monde croyait à la culture, c’est-à-dire à la toute-puissance de l’homme et à sa capacité de transformer la société pour la rendre plus juste, plus humaine, grâce à l’action intellectuelle, sociale, politique, spirituelle. Mais le monde actuel, selon Régis Debray, ne croit plus à la possibilité du changement et il se redéploie dans une espèce d’acceptation plus ou moins joyeuse, plus ou moins volontaire ou résignée, de la nature, c’est-à-dire d’une réalité immuable à laquelle il faut se soumettre et dont il s’agit de reconnaître les vertus. Après le rêve occidental de transformation du monde, voici venu le temps de la nature reine!


Un basculement gigantesque, un véritable réalignement des planètes, qui est déjà entré de plain-pied, très concrètement, à la maison. Car la maison, classiquement, c’était d’abord la culture: la bibliothèque, les livres, les tableaux, c’est-à-dire tout ce qui parlait d’histoire, de politique, d’art, de musique. Tout ce qui nous reliait au passé et nourrissait les projets d’avenir. C’était aussi le salon avec son ordre rigoureux, sa sensibilité sévère, ses règles strictes, son bon goût, ses fauteuils confortables qui devaient abriter et stimuler la pensée. Comment ranger ses livres dans sa bibliothèque, quels grands auteurs privilégier, quelles références incontournables pour alimenter sa curiosité et élargir ses connaissances? Quelle décoration, aussi, pour se situer (et proclamer discrètement ses convictions) au milieu de cette histoire en marche où chacun était sommé de choisir son camp en permanence?

Autant de questions qui ne se posent plus aujourd’hui, car la nature a fait sa grande entrée à la maison et a tout emporté! La nature sûre d’elle-même et triomphante! La nature simple et naturelle, innocente, pateline! Le siècle vert à domicile, comme dirait Régis Debray. La culture n’a pas complètement disparu, du moins ici ou là, mais la maison ne tourne plus autour d’elle. Le salon est devenu le living, la bibliothèque est devenue une étagère à deux ou trois rayonnages…

La maison, en fait, a pris un grand virage existentiel: elle est devenue nature. Elle accueille la nature, elle la chérit, elle lui demande des leçons de vie et de bonheur. «Dis-moi, Maman Nature, comment gérer mes sept chakras!» «Dis-moi, Maman Nature, comment capter les énergies et gérer mon équilibre yin-yang!». Les plantes sont partout, les fleurs aussi, et c’est le jardin en personne qui débarque à son tour à la maison avec tous ses amis: le potager, les arbustes, les parasites, les insectes, l’odeur de la terre, les couleurs… L’humoriste Alphonse Allais proposait de construire la ville à la campagne, eh bien! c’est la nature qui s’est déplacée jusqu’en ville: une autre sensibilité, un autre mode de vie, d’autres priorités, d’autres émotions, d’autres valeurs. Le retour en grâce, en quelque sorte, de la fameuse phrase de Voltaire: «Il faut cultiver son jardin». Le siècle vert qui s’annonce aurait-il un léger relent conservateur, un petit parfum régressif? Sonnerait-il le glas des utopies collectives et le recentrage de chacun sur son petit pré carré?

Journaliste, Christine Virbel Alonso est une écologiste passionnée et rigoureuse. Elle explique dans un livre qui vient de paraître, «La permaculture en appartement» (Editions Jouvence), comment créer dans sa maison «un jardin d’intérieur 100% bio». «Oui, il est possible de cultiver en ville, proclame-t-elle. Oui, vous pouvez récolter des fruits et des légumes, même en appartement. Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’un peu de terre et d’eau vous procureront comme satisfaction et bonnes surprises. Avec un peu d’observation et d’attention au quotidien ou quelques jours par semaine, vous pourrez faire partie de la grande famille des passionnés des plantes et autres cultivateurs urbains».

Semer, planter, avoir ses parterres de fleurs, de fruits ou de légumes dans son appartement, c’est très simple et facile, explique Christine Virbel Alonso. Il suffit en fait d’un peu de terre et d’un peu d’eau… «En choisissant la méthode de la permaculture, dit-elle, vous favorisez également la diversité biologique autour de vous et dans votre quartier. Des abeilles solitaires et des coccinelles trouveront une petite oasis de verdure dans vos jardinières et aideront les plantes à se développer. En un mot, tout le monde sera gagnant! Etes-vous prêt?».  

Jaques Rasmoulado