Me Patrick Blaser, avocat, associé de l’Etude Borel & Barbey, Genève.

DROIT IMMOBILIER – VALAIS

Des zones constructibles… inconstructibles!

On s’en souvient: en mars 2012, le peuple suisse a donné sa bénédiction à l’Initiative constitutionnelle visant à limiter à 20% la construction de résidences secondaires dans les communes. Or il s’avère que cette Initiative, qui a débouché sur l’adoption en mars 2015 de la Loi fédérale sur les résidences secondaires, peut avoir pour effet «secondaire» d’empêcher, dans certains cas, non seulement la construction de résidences secondaires, mais également celle de résidences principales, cela malgré le fait que la loi ne limite pas la construction desdites résidences principales.

Une Initiative qui peut avoir pour effet «secondaire» d’empêcher, non seulement la construction de résidences secondaires, mais également celle de résidences principales…

C’est ce que viennent d’apprendre à leurs dépens la Commune de Bagnes et le village de Verbier, suite à un arrêt de principe rendu le 14 septembre 2020 par le Tribunal fédéral. Cela étant, la Commune de Bagnes n’est pas la seule à être confrontée au risque de voir ses zones constructibles devenir totalement… inconstructibles par l’effet de la Loi sur les résidences secondaires.
Dans le cas d’espèce jugé par le Tribunal fédéral, la Commune de Bagnes a adopté en 2002 et 2003 un Plan d’affectation des zones et un Règlement de construction, prévoyant en particulier une zone touristique T3 affectée à la construction de résidences secondaires de vacances.
Comme la Commune de Bagnes a dépassé son quota de 20% de résidences secondaires, il n’est plus possible de construire sur cette zone une quelconque résidence secondaire. Qu’à cela ne tienne, le bon sens et le pragmatisme valaisans ont incité la Commune de Bagnes à décider d’autoriser la construction de résidences principales dans la zone touristique T3, en lieu et place de résidences secondaires. Mais cela, et c’est là que le bât blesse, sans modification de son Plan d’affectation ni de son Règlement de construction en y intégrant formellement la possibilité de construire des résidences principales dans l’actuelle zone touristique T3. C’est à l’occasion d’une procédure d’opposition, à l’encontre d’une autorisation de construire deux résidences principales dans la zone touristique T3 à Verbier, que le Tribunal fédéral a été amené à remettre l’église au milieu du village, soit, en l’occurrence, à rappeler que la construction de résidences principales ne pouvait être autorisée que dans les zones prévues à cet effet et non dans les zones expressément affectées aux résidences secondaires, même si ces zones étaient devenues obsolètes.
Dans le cas d’espèce jugé par le Tribunal fédéral, le propriétaire d’une parcelle située sur la Commune de Bagnes à Verbier avait sollicité, et obtenu en octobre 2017, une autorisation de construire deux chalets en résidence principale, avec garage. Cette parcelle se situe dans la périphérie de la station de Verbier, plus précisément dans la zone touristique T3 selon le Olan d’affectation des zones adopté par la Commune de Bagnes et approuvé par le Conseil d’Etat valaisan.
Or la zone touristique T3 est expressément affectée aux résidences secondaires, sans aucune mention de résidences principales. L’incongruité de cette autorisation de construire n’a pas échappé à un opposant, qui en a demandé l’annulation. Le Conseil municipal de Bagnes a toutefois écarté l’opposition et confirmé l’autorisation de construire.

Véto cantonal

L’opposant a derechef contesté cette décision devant le Conseil d’Etat valaisan, qui lui a donné gain de cause et annulé l’autorisation de construire. S’estimant dans son bon droit, le bénéficiaire de l’autorisation de construire a saisi le Tribunal cantonal. Ce dernier a toutefois confirmé l’annulation de l’autorisation de construire.
Le Tribunal cantonal a relevé que le Règlement de construction de la Commune de Bagnes prévoyait expressément que la zone touristique T3 n’était destinée qu’à des résidences secondaires de vacances. Si le législateur communal avait aussi voulu permettre la construction de résidences principales dans la zone touristique T3, il n’aurait pas expressément spécifié dans son Règlement que l’affectation de cette zone n’était dévolue qu’à des résidences secondaires de vacances. Preuve en est que les autres zones résidentielles de la Commune de Bagnes, y compris la zone touristique T2, prévues dans le Règlement, sont expressément destinées à l’habitat, sans aucune restriction, voire même pour la zone touristique T2 à «l’habitat permanent et saisonnier».
En conséquence de quoi le Règlement, en tant qu’il concerne la zone touristique T3, ne peut en aucun cas être interprété comme permettant la construction de résidences principales en lieu et place de résidences secondaires de vacances.

Recours de principe de la Commune de Bagnes auprès du Tribunal fédéral

Le propriétaire de la parcelle n’a pas entendu contester l’arrêt du Tribunal cantonal. La Commune de Bagnes a néanmoins décidé de prendre le relais judiciaire et de recourir auprès du Tribunal fédéral pour obtenir de ce dernier qu’il confirme la validité de son autorisation de construire.
En interjetant un tel recours, la Commune de Bagnes entendait obtenir du TF un arrêt de principe valable pour l’ensemble de la zone touristique T3, afin d’y admettre la construction de résidences principales en lieu et place de résidences secondaires. A l’appui de son recours, la Commune de Bagnes a indiqué que le Tribunal cantonal avait procédé à une interprétation excessivement littérale de son Règlement, qui avait pour effet de rendre inconstructible la zone touristique T3, alors qu’elle était précisément destinée à la construction.
C’est en effet, c’est à ce résultat que débouche l’arrêt du Tribunal cantonal, qui interdit toute construction de résidence principale dans une zone qui ne prévoit effectivement que la construction de résidences secondaires, alors que celles-ci ne sont plus envisageables depuis l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur les résidences secondaires. Ce faisant, le Tribunal cantonal n’avait, selon la Commune de Bagnes, pas tenu compte des «circonstances contemporaines».

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Qualité pour recourir de la Commune de Bagnes

Au niveau de la recevabilité de son recours, la Commune de Bagnes a invoqué que l’arrêt du Tribunal cantonal avait pour conséquence d’empêcher toute construction sur sa zone touristique T3, ce qui justifiait sa qualité pour recourir, alors même que le destinataire de l’autorisation ne l’avait pas fait.
En effet, l’arrêt rendu par le Tribunal cantonal avait pour conséquence d’interdire les constructions sur la zone touristique T3, puisque la Commune de Bagnes avait déjà atteint son quota de 20% de résidences secondaires, ce qui excluait par conséquent toute nouvelle construction de résidence secondaire en zone touristique T3 pourtant dévolue à ce genre de constructions, ainsi que toute construction de résidence principale, puisque, selon le Tribunal cantonal, ce genre de construction n’y était pas mentionné.
A propos de la recevabilité du recours, le Tribunal fédéral ne s’est finalement pas trop pris la tête, en considérant que la qualité pour recourir de la Commune pouvait rester indécise, puisque son recours devait être rejeté sur le fond! Dans ce cadre, le Tribunal fédéral a toutefois admis qu’il pouvait entrer en matière sur la question de principe de savoir si des résidences principales pouvaient être construites sur une zone expressément affectée à la construction de résidences secondaires.

Autonomie communale en matière d’aménagement: une peau de chagrin ?

Dans le cadre de son recours, la Commune de Bagnes a invoqué que l’arrêt du Tribunal cantonal ne respectait pas l’autonomie communale. A ce propos, le Tribunal fédéral reconnaît que les Communes du canton du Valais bénéficiaient d’une certaine autonomie en matière d’aménagement de leur territoire et dans le domaine de la police des constructions. Les Communes ont en particulier la compétence d’établir un Plan d’affectation des zones de leur territoire communal et un Règlement de construction y relatif.
Lorsque l’autorité communale est saisie d’une demande d’autorisation de construire, elle bénéficie d’une certaine liberté d’appréciation pour interpréter son Règlement en matière de construction en fonction des circonstances locales. En cas de recours contre l’autorisation de construire délivrée par l’autorité communale, l’autorité de recours, soit le Conseil d’Etat puis le Tribunal cantonal, ne peut pas revoir, sauf arbitraire, l’appréciation de l’autorité communale en lui substituant sa propre appréciation.
L’autorité de recours ne doit par conséquent exercer qu’avec retenue son contrôle de l’opportunité d’une décision prise par l’autorité communale, lorsque celle-ci concerne des intérêts locaux. Cela étant, l’autorité de recours doit procéder à un contrôle strict de la validité d’une décision communale, lorsqu’elle paraît contraire au droit supérieur dont la sauvegarde incombe au Canton.
L’autorité de recours peut par conséquent revoir une autorisation de construire délivrée par l’autorité communale, lorsque la mesure d’aménagement prise par la Commune est insoutenable, mais également lorsque celle-ci «paraît inappropriée à des intérêts qui dépassent la sphère communale».
De son côté le Tribunal fédéral, dernière instance de recours, revoit certes librement l’interprétation et l’application du droit fédéral et du droit constitutionnel cantonal, mais n’examine l’interprétation et l’application des autres règles du droit cantonal et communal que sous l’angle restreint de l’arbitraire. En particulier, le Tribunal fédéral contrôle librement si l’autorité judiciaire cantonale a respecté la latitude d’appréciation découlant de l’autonomie communale.

Dura lex, sed lex!

Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral admet qu’une interprétation littérale du Règlement de construction de la Commune de Bagnes rend la zone touristique T3 complètement inconstructible depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur les résidences secondaires.
Le Tribunal fédéral admet également qu’à l’époque de l’adoption de son Règlement, la Commune de Bagnes avait bien évidemment en vue que cette zone soit constructible, sans bien évidemment pouvoir tenir compte de la loi qui allait être adoptée des années plus tard. Cela étant, le TF relève que l’ensemble de la zone à bâtir prévue dans le Règlement communal élaboré en 1999 a été défini pour tenir compte d’une demande en résidences secondaires qui était à l’époque encore forte.
Or l’impossibilité de construire des résidences secondaires intervenue depuis, qui découle de la Loi sur les résidences secondaires de 2015, a, selon le Tribunal fédéral, affecté le besoin en zones à bâtir de la Commune de Bagnes. A cela s’ajoute le fait que depuis 2014 (suite à l’entrée en vigueur d’une modification de la Loi sur l’aménagement du territoire), les zones à bâtir doivent répondre aux besoins prévisibles pour les quinze prochaines années. Or ce besoin doit être réévalué par le biais d’une modification des Plans d’affectation et non au moyen d’une interprétation extensive du Règlement communal comme le voudrait la Commune de Bagnes.
Par conséquent, la Commune de Bagnes n’a pas d’autre choix que celui de modifier son Règlement communal en prévoyant expressément que la zone touristique T3 puisse également être destinée à la construction de résidences principales et non plus seulement de résidences secondaires. Bagnes a d’ailleurs déjà, à l’instar d’autres Communes, modifié son Règlement de zones dans ce sens.
Mais, comme il fallait s’y attendre, le nouveau Règlement a fait l’objet de recours auprès du Tribunal cantonal valaisan. Et quelle que soit la décision de celui-ci, elle fera certainement l’objet d’un recours au Tribunal fédéral. En attendant, la zone en question restera inconstructible pendant encore quelques années…

Patrick Blaser

Avocat associé de l’Etude Borel & Barbey, Genève
Juge au Tribunal administratif de première instance
patrick.blaser@borel-barbey.ch